Des voix dans le vent
Et que subsiste-t-il alors ? Ou est-ce que tout est voué au néant ? Cette question trouble l'esprit de beaucoup... il y a-t-il quelque chose après que l'existence est finie ? Des réponses sont trouvées, des réponses qui satisfont la curiosité de la plupart... mais il y en a toujours qui désirent aller au-delà du savoir des hommes mortels pour apprendre la vérité... une vérité au moins... leur vérité.
Certains les ont qualifiés de fous, d'autres de visionnaires, certains étaient les deux... la plupart ni l'un ni l'autre. Une chose est certaine... chacun d'eux a eu quelque chose à dire dans le destin des univers.
Mais pour commencer cette histoire, la plupart auraient besoin d'un lieu et d'une époque. Très bien... le lieu est le village... ou devrais-je dire les ruines de Daas Nar, ce qui signifie en langage commun le Fort du Chasseur. Une époque... c'est plus difficile. C'est arrivé lorsque le monde était jeune et que j'étais vieux... ou était-ce le contraire ? Je ne me souviens plus... j'ai été vieux tellement de fois, dans tellement d'endroits... Je vous prie de pardonner mes contradictions, le temps n'a pas été si gentil avec moi.
ASSEZ DE CES JEREMIADES !
Cela a commencé au coeur des ruines de Daas Nar, quand même moi j'étais jeune. Des bandits avaient attaqué une famille voyageant vers une cité dans le sud. En temps normal, le père se serait occupé d'eux aisément, il avait affronté de par le passé de plus grands défis et il l'avait emporté. Mais cette fois, quelque chose était différent. Ce n'était pas le fait qu'il ait sa famille à protéger, ni le fait que les environs n'étaient pas familiers. C'était quelque chose d'autre.
Les bandits l'encerclèrent, restant bien hors de portée de sa fourche. Deux d'entre eux se faufilèrent derrière lui et se glissèrent vers la femme et son fils. L'homme les entendit et se retourna, prêt à empaler l'un d'eux. Mais... il ne le put pas. Il regarda sa femme et sut qu'elle aussi avait compris. Même leur fils saisit la futilité de leur situation. Il laissa tomber son arme et attendit patiemment le coup fatal.
Il tuèrent sa femme et son fils en premier, puis lui, ne s'arrêtant pas une seule fois pour s'interroger au sujet de leur bonne fortune. Et ainsi ils partirent, laissant trois corps parmi les ruines.
Alors que les bandits disparaissaient dans le soleil couchant, le vent se leva. Il grandit en force et en intensité, comme annonçant une tempête. Le ciel s'assombrit presque immédiatement comme la poussière et les débris étaient emportés dans l'atmosphère tourbillonnante. Peut-être n'était-ce que le hurlement du vent, peut-être quelque chose d'autre, mais des voix semblèrent émaner de la masse d'air en mouvement. Il y en avait deux... une voix sauvage, basse, presque grondante, avec un accent méconnaissable, et une voix mélodieuse, douce, haut perchée, presque celle d'un enfant.
Avec le temps leur parole devint plus claire et leur conversation devint compréhensible.
« Et ainsi d'autres sont une nouvelle fois morts pour ton salut... » dit la voix enfantine.
« Pour mon salut ? Ce ne fut jamais pour mon salut. Non... il s'agissait de la main de l'irrémédiable. Le coup amer du destin. »
« Il n'a même pas tenté de se sauver ? Quel honneur il y a-t-il là-dedans ? C'est facile de juste se laisser gouverner par les caprices de l'univers. »
« Qui a dit quoi que ce soit à propos de l'honneur ? Crois-tu qu'il aurait été plus honorable de répandre aussi le sang des autres sur le sol ? Ils savaient qu'ils allaient mourir, pourquoi emmener d'autres dans l'abysse ? »
« Serais-tu parti calmement, même en sachant qu'il n'y avait pas d'autre issue ? »
Les voix se perdirent un moment dans le maëlstrom de son et de vitesse, comme la tempête devenait plus féroce.
« ... n'ose pas me comparer avec ces mortels pathétiques ! Ma malédiction et ma bénédiction ne font qu'une : je suis le maître de mon propre destin ! J'aurais emporté des mondes entiers avec moi si j'avais su ce qui allait arriver... » la voix sauvage s'éteignit un moment comme le vent mugissait son accord.
« Oui, tu l'aurais fait... Et alors quid de tous ceux que tu aurais laissé morts ou mourant derrière toi ? »
« Qu'ils aillent à l'Abysse ! Pourquoi penses-tu que je me sois jamais soucié d'eux ? Je n'ai pas eu le choix lorsque je suis devenu ce que je suis, pourquoi devraient-ils être différents ? Pourquoi devraient-ils être capables de contrôler leurs existences misérables ? Si je meurs, que les mondes périssent ! Il ont cessé de m'importer il y a longtemps ! »
« Et la justice ? Pourquoi mériteraient-ils de mourir seulement parce que tu es incapable de contenir tes frustrations ? »
« Veux-tu voir la justice ? PARFAIT ! Ce garçon, ce corps sans vie deviendra l'incarnation de la justice de ce monde ! Et avant même que tu y songes... il sera capable de choisir le chemin qu'il désire, quel qu'il soit. Je vais briser les liens qui le maintiennent emprisonné dans la toile du destin. Je vais le doter du savoir que je possédais... et nous verrons ce qui triomphera... son désir de vengeance et de justice ou sa... sagesse. »
« Ca pourrait être une erreur... un garçon est loin d'être assez mature pour comprendre le pouvoir que tu es sur le point de lui donner. Pourquoi pas l'homme ? »
« Il n'est pas assez innocent. Non, pour ceci, il faut une personne aussi pure et innocente que possible. »
« Personne n'est innocent. Pas même le garçon... »
« Serais-tu en train d'utiliser mes arguments à présent ? Bien sûr personne n'est innocent. Mais le garçon a le moins d'expérience des affaires du monde. Nous verrons comment il réagira avec tout ce pouvoir à sa disposition. Je le rendrai conscient de tout ce pouvoir de façon à ce que ceci ne mène pas à l'auto-destruction... comme l'une de nos autres expériences... »
« Terrilion... oui, il était très particulier. Nous regrettons encore cette petite... erreur. »
« Oui, bien, nous ne pouvons pas être omniscients en permanence. Mais il a fait ses choix. Corrects ou non, ils étaient les siens. Mais assez de bavardages inutiles... »
Les voix moururent dans la tempête, comme le grondement croissait jusqu'à prendre des proportions impossible. Les murs anciens de Daas Nar s'écroulèrent, leurs pierres balayées dans les airs par des vents titanesques. Même l'herbe élastique de la toundra était arrachée de ses racines, s'ajoutant à la colonne de débris s'élevant vers les cieux. Les vents ne se calmèrent pas, ils ne firent que... s'arrêter. Les lamentations de la tempête cédèrent la place à un silence lourd, presque palpable. Les fragments atterrirent sans bruit, comme si délicatement déposés par une main invisible.
Le paysage entier avait été changé. Là où autrefois une herbe bleu-vert couvrait la terre, il ne demeurait plus rien que la terre nue. Chaque buisson et chaque arbrisseau avaient été déracinés, et les ruines de Daas Nar n'étaient plus. Les débris étaient éparpillés dans un rayon d'un mile autour d'une zone semblable à un cratère, où les corps reposaient encore, comme si la tempête ne les avaient pas touchés.
Lentement, l'un d'eux commença à remuer. Le garçon revenait à la vie. La plaie béante dans son dos se refermait rapidement, le sang séchant sur ses vêtements et sa peau. Ses paupières papillonnaient comme s'il rêvait, sa bouche se convulsait, passant du sourire à la grimace et vice versa.
Ses yeux vert pâle s'ouvrirent d'un coup. Lentement, prudemment, comme peu sûr de ses pieds, il se mit debout. Jetant un regard à sa famille tombée, il contempla l'ouest, où les derniers rayons du soleil mourant cachaient ses meurtriers. Il se mit mollement en marche vers ceux qui lui avaient dérobé sa vie et ceux qu'il aimait. Il plaçaitt mécaniquement un pied devant l'autre, comme s'ils étaient réticents à obéir à sa volonté. Au fur et à mesure qu'il avançait sa foulée s'accéléra jusqu'à se transformer en une course effrénée. On aurait pu penser qu'il pleurait... Le garçon ne détourna jamais ses yeux du soleil couchant, il avait fait ses adieux à sa famille.
Longtemps il suivit une piste invisible, sachant d'instinct où trouver sa proie. Finalement il les rattrapa. Ils avaient établi leur camp au somment d'une colline rocheuse, d'où ils pouvaient surveiller la toundra désolée... si bien sûr ils avaient placé un garde. Ils étaient confiants en leur sécurité, et pour une bonne raison : personne ne connaissait leur dernier crime hormis eux mêmes, aussi ils n'étaient pas près d'être chassés par un quelconque dragon amoureux de justice ou par un jeunot en quête de gloire.
L'enfant gravit la colline et entra dans le camp. Il marcha droit sur eux, bien que de nombreux bandits furent encore éveillés et échangeant des histoires ou se partageant le butin à la lumière du feu. Il se planta juste devant eux, ses yeux vert pâle brûlant d'un rouge sang dans la lumière orange. Ils le contemplaient avec terreur, n'essayant même pas d'atteindre leurs armes, ou même de se lever. Le silence soudain réveilla les autres hors-la-loi, et désormais quatorze paires d'yeux étaient rivées sur cette frêle forme au centre du campement.
Sa bouche s'ouvrit convulsivement. Un flot de grondements et de cris jaillit hors de sa gorge torturée, essayant de former des mots. Puis il fut de nouveau silencieux... mais le monde autour de lui commença à pulser en rythme, comme un tambour géant. Le bruit grandit en colère et en vitesse. Le vent se leva, passant de la brise à la rafale en quelques instants. Il plongea le sommet de la colline dans la brume et la poussière. Les bandits crièrent et pleurèrent, certains suppliant la pitié, d'autres menaçant. En vain, car leurs voix se perdaient dans un ouragan de tempête et de séisme. La terre elle-même semblait trembler, se soulevant à l'unisson avec les vents rageurs.
Et dans ce creuset de haine, le garçon versa toute sa frustration, sa colère et son angoisse, dans une tentative désespérée de rétribution. Son cri surpassa le bruit de la tempête, déchirant le tissu de la réalité, fracassant les limites de l'univers, invoquant quelque chose, n'importe quoi qui donnerait une forme à sa rage, à sa soif de vengeance. Et ils vinrent, attirés de tous les coins de l'abysse, des horreurs sans nom et sans forme, ils vinrent pour répondre à son appel.
Les ombres prirent vie et bondirent sur leurs victimes terrifiées. Abruti de peur, ils n'essayèrent même pas de se défendre. Les démons informes les mirent en pièces, un à la fois, leur sang et leurs tripes rejoignant le tourbillon, créant un vortex écarlate autour du sommet ravagé de la colline.
Quand le dernier des bandits succomba en pleurs sous une masse grouillante de tentacules, griffes et pinces immatériels, les ombres s'estompèrent dans le néant. Leur travail avait été accompli, la colère de leur maître s'était apaisée.
Le maëlstrom disparut lentement et les séismes cessèrent. La colline était couverte de sang et de carcasses méconnaissables qui avaient été autrefois humaines. L'enfant était toujours là, mais il avait changé. Ses yeux étaient dans le flou, son feu éteint. Il était juste une autre enveloppe, une enveloppe qui ne savait pas qu'elle était morte... pas encore.
Une légère pluie commença à tomber, lavant lentement la terre de ce sang. Des ruisselets d'une boue d'un rouge sombre dévalèrent les pentes de la colline rocheuse, se joignant en cours plus grands, jusqu'à ce que la colline entière sembla suinter ce sang terreux.
Un nombre d'oiseaux charognards se posèrent près des corps et commencèrent à picorer les restes. Un corbeau énorme, ses plumes brillant sous la pluie, se posa sur une cage thoracique. Etrangement, il ne semblait pas intéressé par le festin. Une autre oiseau, un grand vautour gris cette fois, atterrit juste à côté du corbeau, s'agrippant précairement aux os plus fins. Ils paraissaient tous deux surveiller le carnage, mais s'intéressaient évidemment à l'enfant.
Tout d'un coup, le vautour battit des ailes et ouvrit son bec... mais à la place d'un croassement rauque, une voix interrompit le festin silencieux...
« Qu'est-ce qui cloche avec lui ? Ou lui as-tu seulement donné assez de pouvoir pour prendre sa revanche ? » glapit la voix enfantine, semblant presque troublée.
Le vautour serra son bec dans une vaine tentative de contenir les mots pour lesquels il était clairement mal équipé.
« Non... Je lui ai donné tout le pouvoir que j'ai pu. Souviens-toi qu'il était trépassé. Ce n'est pas une expérience qui laisse les mortels intacts. Il savait qu'il était mort, ma petite résurrection n'a pas effacé sa mémoire. » le corbeau avait parlé avec une voix grondante, impitoyable.
« Alors qu'était-ce ? Une simple vengeance ? Je pensais que tu en aurais fait la main de la justice dans ce monde... »
« Peut-être qu'il est la Justice... peut-être ne désirait-il pas la justice... juste la revanche. Peut-être est-ce la voix qu'il estime juste. Toi entre tous devrais savoir que la justice est purement personnelle. Qui sommes-nous pour leur donner des préceptes directeurs ? La raison même de la liberté est le choix, est que le destin de leur monde est dans leurs mains. »
« Alors le monde pourrait très bien cesser maintenant. Les mortels sont mus par l'ambition personnelle, pas par le soucis d'un bien plus grand. Même ces dragons qui montent la garde sur ce royaume ne sont rien d'autre que des pions... guidés par leurs propres visions du bien et du mal, ils délaissent la sécurité de ce monde en faveur de leurs propres buts. »
« Ne sois pas si prompt à juger. Leur ambition est ce que les rend capables d'accomplir l'impossible. C'est dangereux et fugace, mais sans cela ils ne seraient que du bétail attendant d'être massacré par les temps changeant. Laisse les choisir leur propre justice. Es-tu déçu qu'il n'ait pas poursuivi sa folie meurtrière ? Il aurait pu, s'il avait été un adulte. Mais même ceci était beaucoup pour lui. »
« C'était cela ? Juste une autre vengeance ? Je dois dire que j'attendais plus... même de la part d'un enfant. » Ensuite il rit... cette douce voix enfantine haut perchée rit. Tous les êtres vivants à des miles à la ronde s'abritèrent. Même les puissants dragons, hauts dans le ciel nocturne sentirent un froid inconfortable les traverser. Ce rire hagard, assombri et déchiré en lambeaux enserra le monde dans un poing glacé, envoyant des frissons dans le dos des héros comme des couards.
« SILENCE ! » Le grondement explosa, mettant fin au rire sinistre. « Que ce soit ou non ce que tu attendais, c'était plus qu'une simple revanche... c'était la justice, telle que vue par l'esprit innocent d'un enfant. Qu'aurais-tu prévu ? Un jugement ? Crois-tu qu'il se serait condamné à la prison ? C'était une justice crue, rapide et cruelle. Mais ce fut efficace ! Peut-être est-ce ce dont ce monde a besoin, une justice simple et brute pour traiter avec l'empiètement des ténèbres. Peut-être que les vendettas personnelles devraient être encouragées et non étouffées... à la fin, cela reste leur choix. »
« Alors pourquoi s'est-il arrêté ? Pourquoi ne pas continuer ce cercle de vengeance ? » la voix avait repris son aspect enfantin. Il était difficile de croire qu'un moment avant cela avait été la chose la plus sombre en dehors de l'abysse.
« Tu sembles oublier constamment qu'il n'est qu'un enfant. Où serait-il allé ? Qu'aurait-il fait ? Comment aurait-il reconnu le bien du mal ? Il était incapable de soutenir une telle responsabilité. Je lui ai simplement donné les outils, le pouvoir de faire ce dont il avait besoin, je ne lui ai pas donné la sagesse, ni la volonté d'aller de l'avant. Ayant vu sa justice accomplie, il a perdu sa raison d'être... »
« Alors il a pris l'échappatoire la plus simple. Un lâche ? Avons-nous mal choisi ? »
« Nous pourrions très bien ne jamais le savoir... Je lui ai donné le droit, le pouvoir de choisir et il en a fait bon usage. Il a montré au monde comment il devait être. Innocent et cruel comme un enfant... s'il veut survivre. La justice doit être donnée rapidement et sans pitié... les choix doivent être pris sans peur... »
« N'était-il qu'un simple exemple ? Toute cette histoire n'était qu'un exemple ? As-tu fait tuer sa famille juste pour prouver ton point de vue ? Tu ferais ça n'est-ce pas... »
« Peut-être... mais dans tous les cas, cela ne nous concerne plus. Ce monde et ses affaires doit rester dans les mains des mortels qui le peuplent. Nous sommes intervenus probablement plus que nous n'aurions dû. Déjà les effets de nos actions, notre simple présence ici détraquent le cours naturel des événements. Nous devons quitter cet endroit maintenant, ou bien il pourrait être trop tard. »
Avec cela les voix se turent et le calme se répandit sur le sommet torturé de la colline. Le vautour et le corbeau descendirent de la carcasse et se joignirent au festin.
Le sang avait été lavé, les seuls restes de cette titanesque manifestation de pouvoir étaient quelques carcasses... avant l'aube celles-ci aussi auraient disparu, car la rude toundra fournit rarement une telle opportunité de festin...
Seul le corps de l'enfant flottait encore au gré de la brise du vent, comme s'il rechignait à tomber. Un éclair jaillit du ciel nocturne, et l'enfant s'écroula en un tas d'os brisés. Lui aussi serait dévoré avant que la nuit ne soit terminée...
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